Comment se fabrique le futur (1/3)
Dans ces temps volatiles, incertains, etc… projeter son activité, son modèle économique, son organisation à un horizon court, moyen et ne parlons pas du long terme, semble une gageure. Quand on ne sait pas de quoi demain (son prochain exercice) sera fait, difficile d’imaginer ce qu’il pourra en être dans une ou plusieurs décennies. Mais se dénommer ‘Fabrique du Futur‘ oblige. Oblige notamment à être en capacité d’ouvrir des pistes de réflexion et d’action qui éclairent les structures qui s’interrogent, à juste titre, sur leur avenir. Comment peuvent-elles l’appréhender, le concevoir et le mettre en oeuvre. Cette série de 3 articles a pour objectif de contribuer à prendre un peu de recul sur cette notion aussi mystérieuse que partagée, aussi interprétée qu’étudiée, qu’est le futur.
Ce 1er article se consacrera à l’histoire du futur. Le 2ème identifiera ses principaux modèles de fabrication aujourd’hui. Le 3ème présentera différentes modalités de sa mise en oeuvre
Le Futur : quelle histoire !
Futur & rapport au temps
Qu’est-ce donc que le temps ? Saint-Augustin (354-430), dans ‘Ses confessions’, avait une réponse :
« Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande, je ne le sais plus. »
De fait, définir le temps n’est pas chose aisée. L’histoire de la philosophie et de la physique partagent deux principales conceptions métaphoriques : le temps ‘Flèche’ et le temps ‘Fleuve’.
Dans la 1ère, le temps semble aller vers l’avenir. Ce qui est avant détermine ce qui suivra. Exemple : la naissance des êtres précède leur mort (à venir). C’est un temps ‘Ordre’. Un ordre de succession d’états : bébé, enfant, adolescent, adulte, vieillesse, décès. Ici, c’est la ‘substance’ qui prime.
Dans la seconde, le temps semble venir de l’avenir et aller vers le passé. C’est un temps ‘Devenir’. Un événement donné (exemple : un RDV client) est d’abord futur, qui se réalisera et deviendra passé. Là, c’est ‘l’événement’ qui domine.
Conséquences quant à ses interrogations sur le futur.
Dans des exercices de projection, la position à adopter dans son rapport au temps est probablement hybride. A savoir : identifier ce qui, substantiellement, est amené à se transformer dans son futur. C’est le principe du temps ‘Flèche’. Du temps ‘Fleuve’, on retiendra l’identification des ‘événements’ qui vont permettre le changement de ces états.
Futur & représentations dans l’histoire
Le futur ne s’est pas écrit avec les mêmes mots et croyances, ni dans le temps, ni dans l’espace. S’il n’est pas question ici d’en faire une analyse exhaustive, rappelons quelques-unes de ces grandes étapes, principalement en occident.
Antiquité : le poids du passé
Dans l’antiquité, imaginer le futur, c’est d’abord se tourner en direction du passé pour y trouver des précédents, des exemples, des instruments pour conduire l’action future. Maîtriser le futur, c’est être en capacité de distinguer les actions réalisées avec succès dans le passé et trouver le bon moment (Kairos) pour les reproduire dans l’avenir. Même l’art divinatoire consiste à se plonger dans les ‘entrailles du passé’, pour interpréter les signes positifs ou négatifs du futur.
A noter, l’Antiquité ne valorise pas le ‘Nouveau’, considéré comme vecteur de trouble et de perturbation de l’ordre établi.
Christianisme : le poids du ‘Présent’ et le ‘Futur Apocalyptique’
Avec le Christianisme et le Nouveau Testament, changement de paradigme. Le présent se fait préfiguration de ce qui va advenir : l’incarnation au présent de la figure du Christ. Le futur est cadré temporellement (6 000 ans) mais aussi spirituellement puisque le monde s’achèvera dans l’Apocalypse (etymologiquement : révélation/prophétie) qui accueillera les ‘convertis’ dans son Eden et rejettera les ‘impies’ dans les enfers. Le futur consiste alors à vivre au présent dans la foi et le respect de la parole des évangiles pour être du bon côté le jour qui marquera la fin de l’histoire et l’avènement du ‘Royaume de Dieu’ .
Ce registre de la représentation du futur durera en occident jusqu’au XVIIIème siècle.
XVIIIème et XIXème : l’impact du nouveau !
Les travaux de Buffon (1707-1788) sur l’âge de la terre et ceux de Condorcet (1743-1794) dans son « Tableau historique des progrès de l’esprit humain’ vont remettre à plat la vision du ‘Temps chrétien’. Scientifiquement, Buffon démontre que le dogme des 6 000 ans ne tient pas. Condorcet va mettre à mal l’approche ‘figée’ dans laquelle serait contraint l’esprit des humains.
A cela, s’ajoutent deux phénomènes majeurs qui vont faire opérer un virage décisif dans la représentation du futur : l’expérience de la révolution politique et celle de la révolution industrielle. Ces deux transformations vont entrainer une modification du rapport au temps et faire émerger puis diffuser l’idée qu’il est possible de se projeter dans le futur d’une façon positive et confiante. Les révolutions politiques entre 1789 jusqu’au milieu du XIXe siècle démontrent que l’ordre social, politique n’est pas immuable ou naturel mais qu’il est le résultat d’une construction (les sciences économiques et sociales naissent au XIXème). Que cet ordre peut se modifier par l’intervention des humains. Parallèlement, les mutations économiques transforment les fondements matériels du monde et donnent confiance aux sociétés occidentales dans leur capacité à modeler leur environnement et contrôler la nature pour produire de l’abondance. Une Foi en la « loi du Progrès » est née. Un progrès à la fois libéral (capacité d’entreprendre, libre-échange) & social (possibilité de réinventer le modèle d’organisation des rapports humains).
XXème siècle : le progrès ? Y croire encore !
Jusqu’au milieu du XXème siècle, cette vision du progrès est pris dans un mouvement d’accélération vertigineux : innovation technique, échanges mondialisés des marchandises, société de consommation. La 1ère guerre mondiale pose question mais s’ensuivent les années folles. Le ‘Progrès’ de l’Humanité est en marche. Qu’est-ce qui pourrait l’arrêter ?
La seconde guerre mondiale marque un nouveau temps d’arrêt. Comment croire encore à une marche inéluctable de l’humanité vers le mieux quand on constate qu’elle peut conduire au pire ? La bombe atomique pose également question. L’apocalypse ne deviendrait-elle pas également technologique ?
Mais l’heure est à la reconstruction ! ONU, OMC, Unesco… l’organisation du monde se structure. Télévision, Publicité, Supermarchés… les biens produits se diffusent. « Je consomme donc je suis ». La société du loisir se fait jour ; le tourisme se fait masse ; les parcs d’attractions se multiplient… Profitons ! Profitons ! Tout semble aller au mieux. Sauf que…
Début XXIème siècle & Progrès : la dissension !
Un consensus scientifique s’est fait jour : les activités, notamment occidentales, de l’humanité dans une ère qualifiée ‘d’anthropocène’, sont responsables d’un dommage planétaire qui pourrait s’avérer irréparable. Catastrophes climatiques, montée des eaux, extinction des espèces…
Un avenir, sans réagir, conduira à notre fin. ‘C’est déjà trop tard’ disent certains. D’autres restent convaincus que ‘la créativité de l’Humain résoudra tout’. D’autres cherchent à écrire un ‘Nouveau modèle de société’.
Nos repères temporels se perdent. S’en remettre au passé ? Doit-on retourner à l’Antiquité ? Profiter du présent ? Pendant encore combien de temps ? et le Futur alors ? La physique quantique remet en cause sa notion même. De quoi être complètement déboussolé.
Alors que faire ? Quels modèles de fabrication du futur sont à notre portée ? Cela sera l’objet du prochain article.
Christophe Pouilly – Vice Président exécutif – La Fabrique du Futur&Co
Sources :
. Francis Wolff (Professeur émérite de philosophie -ENS Ulm-) : ‘Temps physique et métaphysique’ ; ‘Penser le présent’ ; ‘Qu’est-ce que le temps ?’ . Etienne Klein (Physicien, philosophe des sciences) : ‘Le Temps’ ; ‘ Le temps qui passe’ . François Jarrige (Historien des sociétés industrielles, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne) : ‘La modernité désenchantée’ .François Hartog (Historien et directeur d’études à l’EHESS) : ‘Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps » . .Bernard Cazes (Economiste et essayiste) : ‘Histoire des futurs’ .Carlo Rovelli (Physicien, philosophe des sciences) : ‘Et si le temps n’existait pas’